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Notre Loge

  • : Lumières et laïcité
  • : Promouvoir la laïcité et la mixité au sein du monde profane et encourager la création de loges mixtes au Grand Orient de France
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2 octobre 2016 7 02 /10 /octobre /2016 14:11

Je vous propose de commencer par un poème d’Andrée Chédid

Je revenais des autres chaque fois guéri de moi

A l'abri d'un sourire

D'un geste qui donnait champ

Des moissons d'une parole

Je quittais citernes et mirages du chagrin pour une sorte de bonheur Le bonheur ?

Problématique

Dans notre loge le terme de bienveillance apparait souvent... notamment lors des jolies planches d'accueil de notre Soeur Orateur. Ce terme semble faire “commun” à Lumières et Laïcité, mais… incantation, affirmation, espoir ou volonté....? J'ai donc décidé d'aller chercher ce que ce mot voulait dire, ce qu'il recouvrait, ce que je pouvais faire de ce concept, peut-être pour me l'approprier et peut-être pour l'adopter. Je dois dire que c’est un mot qui évoque en moi des sentiments contradictoires : de l’agacement lorsqu’il est injonction sociale, de l’intérêt lorsqu’il me semble qu’il peut être une déclinaison de la fraternité. C’est donc par ce prisme que je vais développer mon propos : la bienveillance peut-elle venir outiller la fraternité ? Nous aider à échanger le plus pleinement possible en étant soucieux des réalités différentes qui nous animent, à tenter d’être vertueux dans la relation, avoir une certaine éthique de communication, de relation, à nous permettre de donner corps à la fraternité ? Je vous propose donc de cheminer avec moi à la rencontre de la bienveillance tout d’abord avec une tentative de définition puis en allant voir du côté des religions, des philosophies, puis du côté de la psychologie et des neurosciences avant d’aller chercher des outils qui faciliteraient une communication bienveillante, pour enfin se poser la question de la bienveillance en Franc-Maçonnerie.

Définition

Lorsqu'on va chercher des définitions, un champ lexical plutôt riche s'ouvre à nous : empathie, sympathie, complaisance, bientraitance, altruisme ... Il me semble que ces mots désignent un état de fait alors que j'ai l'impression que dans notre loge on souhaite plutôt faire de la bienveillance un mouvement, un acte volontaire....comme : “on ne nait pas bienveillant, on le devient....”, ou comme une pierre à tailler dans la volonté de faire fraternité. La bienveillance est un terme dérivé du latin benevolentia qui signifie « disposition favorable envers quelqu'un dans les relations de personne à personne en particulier de supérieur à inférieur »....je vous propose d’oublier cette dernière partie de la définition, on pourrait alors parler, pour ce qui nous concerne, de “bienveillance fraternelle”... La bienveillance serait donc en quelque sorte un art de la relation. Le terme volentia indique que la bienveillance est le fruit d’une décision, d’une volonté, d’une posture consciente, celle de vouloir du bien, à l’autre, aux autres, et à soi. Je discerne aussi le mot « veille », comme une volonté qui veille, voire qui éveille ... ? Le terme de “bienveillance” recouvre des sentiments que l’on nomme aujourd’hui gentillesse, solidarité, altruisme, humanité, empathie – et qui par le passé étaient connus sous d’autres noms, tels que philanthropia (amour de l’humanité) et caritas (amour du prochain ou amour fraternel).

Du côté des religions et des philosophes

Cette question de la bienveillance a parcouru l’histoire et le monde semble-il…. Pendant la plus grande partie de l’histoire occidentale, le christianisme, a sacralisé les instincts généreux de l’homme et en a fait le fondement d’une foi universaliste. A partir du XVIe (16) siècle, le commandement chrétien “Tu aimeras ton prochain comme toi-même” subit la concurrence de l’individualisme. Dans le Léviathan, Thomas Hobbes (1651), considère la bonté chrétienne comme une absurdité. Ses vues mettront du temps à s’imposer, mais à la fin du XVIIIe elles semblent être devenues l’orthodoxie. Les spiritualités et philosophies traditionnelles plaident également pour la bienveillance. Le confucianisme pour lequel la bienveillance est la première et la plus importante des Cinq vertus, le taoisme, et le bouddhisme qui fait de bienveillance l’un de ses « quatre incommensurables ». Marc-Aurèle a mis au centre de sa philosophie la notion de bienveillance. Tout au long des Pensées, il laisse entrevoir une attention particulière à l’autre, et insiste notamment sur la bienveillance avec laquelle il faut agir vis-à-vis d’autrui.

Dans la philosophie contemporaine, la bienveillance a ses théoriciens, Joan Tronto et Carol Gilligan aux États-Unis ou Fabienne Brugère en France avec l'éthique du Care. Ce « prendre soin », ce souci des autres, qui pose la question du lien social différemment en mettant au cœur des relations sociales la vulnérabilité, la dépendance et l'interdépendance et qui valorise l'idée et le fait de vivre les uns avec les autres plutôt que les uns contre les autres.

Je vous vous propose dans ce balayage historique rapide de nous arrêter sur ce qu’a pu dire Kant de la bienveillance,

~~Il nous invite à faire la nuance entre « bienveillance pathologique » et « bienveillance pratique », il distingue l'amour pathologique, le sentiment d'amour que l'on éprouve pour quelqu'un, de l'amour pratique, qui est un devoir d'amour. Autrement dit, l'amour pratique ou la bienveillance proprement morale, fait appel à la raison, et ne se fonde pas dans les élans, les penchants de la sensibilité mais seulement dans le devoir, dans une obligation purement rationnelle qui ne doit rien, qui exclut même, tout ce qui vient de nos émotions, de nos sentiments, de la sensibilité. Cette façon de voir me désarçonne un peu, m’interroge, comme si l’on devait choisir entre la morale et les sentiments… Or si j’observe du côté de la relation des parents avec leurs enfants, il me semble que ce n'est pas par pure affection que nous élevons et prenons soin de nos enfants, ce n’est pas non plus par devoir moral dénué de tout sentiment…. Je vais recentrer mon propos sur la bienveillance fraternelle, la bienveillance comme éthique relationnelle ou éthique de communication. J’ai trouvé une réflexion intéressante chez le philosophe contemporain Jürgen Habermas qui parle lui d’éthique discussionnelle. Il pense pouvoir permettre à travers une éthique communicationnelle l’existence de sociétés capables de concilier le bien individuel et le juste collectif. L’éthique discussionnelle est ce qui facilite l’expression de la vérité, qui met en tension le bien et le juste. Pour lui : - Le bien renvoie à des valeurs personnelles et alors n’a pas une portée universelle - Le juste renvoie à des valeurs indiscutables, car intéressant tous les hommes. Le juste serait ainsi le même pour des personnes ne partageant pas les mêmes idées. Et c’est parce qu’au-delà de nos différences d’appréciation du bien, nous sommes capables de définir ce qui est juste, que nous parvenons à vivre ensemble. C’est pour moi le sens de ma présence ici : faire œuvre commune dans la recherche, au plan des valeurs, de ce qui est juste pour tous au-delà de ce qui est bien pour chacun. Cette recherche d’une rationalité partagée nécessite des règles de discussion. Notre rituel en propose une forme. J’ai pris le temps d’aller en chercher d’autres, dont je vous ferai part plus loin dans mon exposé, dans une partie consacrée aux outils de la bienveillance.

Du côté de la psychologie et des neurosciences

Pas question ici de philanthropie : les travaux de la psychologie positive en France montrent combien la bienveillance et l'écoute dans le monde de l'entreprise font preuve d'efficacité économique. La science s'intéresse de plus en plus à la thématique de l'altruisme, de l'empathie. Ces recherches, aussi bien chez les psychologues, les biologistes que chez les économistes tendent à montrer que l'aptitude à se tourner vers autrui apporte du bien-être à l'individu, à la société, voire à l’économie …. Google a lancé en 2012 une étude pour déceler le secret des équipes de travail les plus productives : « Faut-il que les membres de l’équipe aient des centres d’intérêt similaires ? Qu’ils se voient en-dehors du travail ? qu’il y ait autant de de femmes que d'hommes ? » Autant de questions étudiées par les statisticiens, chercheurs, sociologues, psychologues : aucune corrélation n’a été trouvée. Et puis les chercheurs ont pensé à la bienveillance… Enfin, pas exactement, plutôt à la sécurité psychologique que l’on peut expliquer de la sorte : il s’agit d’un cadre dans lequel les salariés n’ont plus peur de prendre des risques, un climat dans lequel ils ne craignent pas d’assumer leurs erreurs. Une autre étude menée en 2014 par le département d'économie de l'Université de Warwick au Royaume-Uni montre que la productivité d'une équipe heureuse augmente de 12 % ! Les dirigeants d’entreprise s’emparent donc de ce nouveau concept et tout à coup un soupçon m’envahit : la bienveillance de ce XXIe siècle est-elle un avatar du Paternalisme du XIXe ?

Du côté des neurosciences ;

Dans les années 90 le neurologue Giacomo Rizzolatti découvre les neurones miroirs : quand quelqu’un en face de moi réalise une action, cela éveille la même chose en moi au niveau de mon activité neuronale : si je vois quelqu’un se gratter ou bailler, je vais avoir envie de faire pareil. Fondamentaux dans notre système de relation, ces neurones s’activent (en miroir) lorsqu’il y a geste et également, chez l’homme, lorsqu’il y a intention de geste. Mon cerveau s’allume quasiment de la même façon si j’agis ou si je regarde faire. Ce serait donc une base cérébrale de l'empathie ? Quand nous avons le sentiment très agréable d’être en communion, en parfaite résonance avec l’autre, il existe une traduction biologique : nos neurones miroirs s’activent, ils constituent une sorte de sixième sens qui rend les émotions contagieuses. Par ailleurs, chaque fois qu’un être humain est dans une ambiance agréable, qu’un regard bienveillant est posé sur lui, son organisme sécrète de l’ocytocine qui est une hormone permettant de faire preuve d’empathie envers autrui, de faire face au stress, de donner confiance en soi, et de coopérer…. Et là on en revient à Habermas… Si je suis bienveillant avec mes frères et sœurs de loges, mon cerveau, directement, et le leur, par l’effet des hormones miroir, produira de de l’ocytocine qui me permettra de coopérer au mieux. Cette première partie de mes recherches m’amène à me dire que la bienveillance, au-delà d’être agréable et éthique, serait aussi efficace... Mais, à ce stade, ce qui me manque, ce sont des outils : «comment je fais pour être bienveillante…?»

Du côté des outils

J’ai donc à tailler ma pierre communicationnelle, à être responsable de la façon dont je rentre en communication avec les autres… Reste à se doter des bons outils….. La Communication Non-Violente . Le courant de la communication non-violente a d’abord été porté par l’américain Marshall B. Rosenberg depuis les années 1980. La communication bienveillante permet de donner leur place à nos émotions et celles des autres. Il explique que les émotions sont générées par un besoin, et que nous avons à le repérer lorsque nous sommes submergés par une émotion notamment négative.][ Je dois, quand je ressens une émotion violente qui pourrait se traduire par de l’agressivité, aller chercher au fond de moi à quoi elle correspond et rectifier ensuite pour pouvoir exprimer un besoin qui soit «entendable» par mon interlocuteur. Dorénavant au lieu d’agresser mon conjoint parce qu’il rentre tard, je vais plutôt lui exprimer mon besoin de passer du temps avec lui….Je vous raconterai si ça fonctionne…..

La bienveillance peut sembler être un concept bisounours qui amènerait à ne pas dire les choses. Elle peut inspirer de la méfiance, et ses démonstrations sont jugées moralistes, sentimentales voire mièvres. Aux personnes qui pourraient partager ce point de vue, la communication non-violente propose l’assertivité qui est considérée comme l’art de faire passer un message difficile sans passivité mais aussi sans agressivité. J’ai trouvé également un autre outil qui me parait pertinent : “ Les trois passoires de Socrate” Un disciple dit un jour à Socrate : “Maître j’ai une information à te communiquer sur un de tes amis” Socrate répond : “Je veux bien t’écouter mais as-tu fais passer cette information par les trois passoires? -Trois passoires… ? Que veux-tu dire Maître ? -Ton information doit d’abord se soumettre à la passoire de la VERITE. T’es-tu bien assuré que ce que tu as entendu et que tu veux me dire, reflète bien la vérité ? Dans le cas contraire Oublie-la ! Si c’est la vérité, soumets-la à la deuxième passoire, celle de la QUALITE. S’il s’agit de quelque chose de mauvais ou de péjoratif, il ne serait pas bon de la divulguer… Oublie-la ! Si elle est vraie et positive, prends ta troisième passoire, celle de l’UTILITE. Est-ce utile ou superflu de m’en informer ? Si c’est utile, que veux-tu que j’en fasse ? Eh bien, dit le sage, si ce que tu as à me dire n'est ni vrai, ni bon, ni utile, oublie-le et ne t'en soucie pas plus que moi… » Voilà donc quelques outils permettant de travailler l’émission de la parole. Il manque à mon avis quelque chose du côté de la réception. Je suis responsable de la façon dont je transmets un message mais je suis également responsable de la façon dont je reçois un message…. J’ai trouvé un outil pour cela dans « les accords toltèques ». Miguel Ruiz propose de passer avec soi-même quatre accords visant à briser nos croyances. Ces idées ne sont pas nouvelles. Elles reprennent les principes de la thérapie cognitive, qui démontrent à quel point le manque de distance ou la généralisation abusive sont des pièges. Il explique notamment que les paroles et les actes de l’autre ne nous concernent pas en propre. « Ils lui appartiennent parce qu’ils sont l’expression de ses propres croyances. » Vous êtes critiqué ? Ou encensé ? « C’est l’image que l’autre se fait de vous, ce n’est pas vous. ». De même, les événements qui surviennent ne sont pas toujours des réponses à notre comportement, ils nous proposent de sortir de cet égocentrisme qui nous fait croire que tout ce qui arrive autour de nous est une conséquence de notre attitude. Comment s’y prendre ? Il s’agit moins de rester stoïque que de prendre du recul, de ne pas ramener à soi ce qui appartient à l’autre, car cela déclenche inévitablement de la peur, de la colère ou de la tristesse, et une réaction de défense. L’objectif : laisser à l’autre la responsabilité de sa parole ou de ses actes et ne pas s’en mêler. Facile à dire….

Franc maçonnerie et bienveillance

La question à poser maintenant est : pourquoi la bienveillance est-elle une vertu dans notre loge? Pourquoi est-ce important pour nous ? La maçonnerie est une fraternité. En la cultivant nous devrions être naturellement… bienveillants...mais la bienveillance n'est pas souvent naturelle, elle est un effort permanent sur soi pour éloigner la discorde, le jugement, pour laisser les métaux à la porte. La fraternité est une condition, la bienveillance est une attitude, un comportement volontaire, une pratique, une discipline. Adopter une attitude bienveillante, pour un maçon, c’est donner corps à l’état de fraternité. Je dispose pour cela de l’outil opératif qu’est la truelle qui sert à gâcher le mortier destiné, en cimentant les pierres de l’édifice, à en réaliser l’unité. La truelle réunit, fusionne, unifie. Plantagenet dit d’elle qu’elle est « le symbole de l’amour fraternel qui doit unir tous les maçons….Aussi longtemps que le compagnon (…) ne s’en est pas rendu compte, son œuvre n’est pas achevée (…)”. Le simple respect du rituel nous conditionne à la bienveillance, par l’écoute de l’autre, le respect de son point de vue et de sa manière de percevoir les choses, par le respect des règles de prise de parole. Il y a le rituel dans sa forme mais également dans le fond. Régulièrement les paroles prononcées pendant la tenue me rappellent à l’ordre sur des notions fondamentales que je souhaiterais sincèrement habiter mais que je perds régulièrement de vue dans ma vie quotidienne. Ces « piqures de rappel » bimensuelles me sont encore nécessaires…..car hors du temple, je suis invitée comme vous tous à l’exemplarité en faisant preuve de bienveillance à l’égard de mes semblables, conformément à la voie tracée par le rituel de clôture : « …ils répandront les vérités qu’ils ont acquises ; ils feront aimer notre ordre par l’exemple de leurs qualités…». Pour ma part, le travail que représente un comportement bienveillant est une attention, une discipline que je conçois comme un don que je souhaite faire aux personnes avec lesquelles je partage un toit, un bureau, un temple …. Viendra ensuite, dans un second temps, peut-être une sagesse, une maîtrise qui me permettront d’étendre cette attention plus largement. Voilà j’arrive à la fin de mon petit voyage dans la bienveillance…. Je reste en interrogation quant à cette quête de bienveillance qui peut me sembler en décalage par rapport aux problématiques du moment : terrorisme fanatique, populismes. Quand le réel prend le visage des fractures sociales et identitaires, de la violence et de la mort, la pensée « bienveillante » n’est peut-être plus de mise… c’est la thèse du livre de Yves Michaud « contre la bienveillance » qui est sorti au printemps. Il explique qu’étendre à la sphère de la politique cette bienveillance c’est oublier qu’on ne fonde pas la politique sur les bons sentiments mais sur des principes de justice. Je suis également interpellée sur ce que j’ai pu lire pendant mes recherches : la gentillesse est devenue un signe de faiblesse aujourd’hui, les gentils le seraient uniquement parce qu’ils n’ont pas le cran d’être autre chose, la gentillesse serait une vertu de perdants. Et cela me questionne beaucoup plus que de savoir si la bienveillance est un acte égoïste ou altruiste…. je vous propose d’ailleurs de régler le problème en mettant du « et » à la place du « ou » : la bienveillance est une posture égoïste ET altruiste….et ça c’est plutôt pas mal finalement….

J'ai dit

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