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Notre Loge

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11 septembre 2016 7 11 /09 /septembre /2016 19:20
  1. La corde comme ligne de vie

Juin 2005, une chaude soirée, quatrième voie d’une calanque de Cassis, chaussons, baudrier, mousquetons, dégaines. Et…une corde. Cet accessoire qui semble parfois inutile, voire gênant dans des passages étroits ou en surplomb. Cette corde qu’il faut « lover » pour la ranger une fois la grimpe terminée me fait beaucoup penser à la corde à nœuds ou à lacs d’amour. Cette corde et son nœud en huit a fait son office et m’a retenue en cette soirée, lorsque mes mains et mes bras tétanisés, exténués ont lâché leurs prises. La prière, la chute… puis l’arrêt brutal dans le baudrier. Cette corde à nœud… et lui qui était hors de portée de ma voix et de ma vue mais qui était resté concentré. Il m’a assurée, il m’a retenue de cette chute mortelle et j’ai pu admirer un magnifique coucher de soleil à l’arrivée. Les alpinistes savent à quel point leur vie et celles de leurs compagnons de cordée sont liées, liées à cette corde et à la vigilance et responsabilité de chacun des encordés.

Le fœtus est relié à sa mère par le cordon ombilical, sans lui point de nutriment ni d’oxygène, sans lui point de vie. Un cordon qui le lie au plus proche à sa génitrice et qui est souvent coupé par le père. Acte de séparation qui ouvre ainsi l’autonomie à ces deux êtres ; le nouveau-né, qui doit apprendre à exister hors de cette fusion primaire, lutter contre l’angoisse de la solitude et de la nuit et la mère qui redevient une plutôt que double. Pour le bébé, ce moment de rupture du lien avec la mère lui permet d’accéder à une autre étape de son existence en lui donnant accès à la société humaine.

La ligne de vie c’est aussi ce fil des trois Moires grecques ou Parques romaines, trois sœurs, trois déesses, qui selon la mythologie gouvernent la vie des êtres humains : Clotho qui file et donne naissance, Lachésis qui dessine la destinée ou le chemin de la vie et Atropos celle qui coupe inévitablement le fil, donnant ainsi la mort. Un fil souple et fin qui relie la venue au monde au trépas, le premier cri au dernier soupir.

La houppe dentelée, cette corde à glands qui entoure le temple et parfois son tapis, semble nous désigner la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, entre la vie et la mort. L’arpentage consistait d’ailleurs à tracer un édifice rituel à partir de cet instrument de mesure qu’était la corde à nœuds, grâce à l’unité de longueur que donnait la distance entre chaque paire de nœuds. La houppe dentelée marque la limite entre le monde sacré et le monde profane, entre les Maçons et les non-initiés. Elle est une enceinte protectrice de la loge contre des ennemis potentiels venant de l’extérieur. Pourtant, cette barrière est sans pouvoir face à l’ennemi que nous pouvons être pour nous-mêmes et que nous redécouvrons lors de l’initiation, dans le miroir qui nous fait face.

Son nœud de huit est un nœud qui en unissant ses deux extrémités, unit la vie à la mort, le haut et le bas, le sacré et le profane, Dieu et les hommes. Une corde à houppe figure d’ailleurs sur les armoiries des Papes, rappelant peut-être l’Alliance entre Dieu et les hommes.

  1. La corde qui contient et entrave

Les bouts sur un navire sont ces cordages omniprésents, centre d’activité principale de tout marin. Ils libèrent ou contraignent les différentes voiles. Le marin choque l’écoute de grand-voile et tente ainsi d’employer au mieux le vent pour avancer dans la direction et à la vitesse escomptées. La corde ici permet de contenir, de restreindre, de donner une forme. Deux bateaux s’amarrent ensemble afin qu’ils ne s’éloignent pas l’un de l’autre et leur éviter ainsi la dérive. Les nœuds marins, nœud de chaise, double huit, etc. ont leurs codes. Le navigateur doit les connaître et pouvoir les réaliser vite et bien même sous la tempête. La corde à nœuds du voilier est celle de la discipline, de la régularité et de la maîtrise par l’homme, de deux éléments naturellement indomptables : l’air et l’eau.

La laisse maintient le chien sous contrôle, elle l’oblige à suivre son maître. La longe permet similairement de contenir son cheval et de le stationner où bon vous semble. Donner du mou c’est donner à l’animal la possibilité d’aller à son rythme, la tirer c’est lui demander de s’arrêter ou de ralentir. C’est le signe de la propriété et du désir de garder pour soi, avec soi et auprès de soi, l’appropriation enfin, d’un être né pour être libre. On dit de l’homme qui se marie, qu’il se fait passer la corde au cou. Il y a derrière cette expression, la pensée qu’il perd sa liberté, son autonomie, qu’il devient aliéné et que sa conduite est désormais dictée par son épouse.

La corde à nœuds est aussi un instrument de torture, elle entoure le prisonnier dont on veut arracher une information, l’empêchant de se mouvoir ou de se défendre. Elle s’abat sur le dos et les chairs de celui que l’on veut faire souffrir pour le soumettre ou le punir à l’instar du martinet sur le derrière de l’enfant désobéissant.

Le pendu lui, fait l’expérience de la corde de mort. Et le nœud est justement ce qui l’étouffe avec la force de sa chute et de son propre poids. Ce moyen de donner la mort par suffocation ou rupture de la nuque est rarement considéré comme une mort digne. C’est un moyen rapide sans effusion de sang mais qui laisse une trace, les condamnés étant souvent pendus en place publique devant la foule et laissés sur place pour dissuader ceux qui auraient été également tentés de défier la loi. Le corps se balance alors plusieurs jours à la vue de tous, tel un pantin balloté au gré du vent et des charognards.

Le nœud de cette corde peut être le nœud gordien, l’inextricable, celui qui est au cœur du problème, problème qu’on ne peut résoudre sans dénouer son centre. Ce sont les nœuds à l’estomac de celui qui a une épreuve à traverser, une performance à accomplir, la peur de ne pas y arriver. Nœuds de celui qui stresse, angoisse ou se tracasse. Nœuds dont on ne trouve pas seul la clé le plus souvent. Nœuds comme autant d’embuches et d’épreuves dans une vie.

Dans l’art figuratif grec archaïque, Oknos est représenté dans l’Hadès comme un vieillard assis qui tresse une corde, tandis qu’un âne à ses côtés, la dévore au fur et à mesure qu’elle est tressée. Ce mythe a pu être interprété comme un époux, dont l’épouse dépensière, dilapidait au fur et à mesure l’argent gagné. Elle peut être un miroir de l’inanité de l’existence ou de la nécessité de travailler indéfiniment. Je la perçois moi comme la lenteur et la difficulté qu’impliquent de forger son âme pour un être humain et de s’améliorer moralement. L’individu avance puis chute presque continuellement.

  1. La corde à nœuds : symbole de l’interdépendance

La corde est à la fois souple et résistante. Elle tire justement sa force de sa souplesse.

« Votre compassion, lui répondit l’Arbuste

Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.

Les vents me sont moins qu’à vous redoutables

Je plie et ne romps pas. »

C’est ainsi que dans sa fable « Le Chêne et le Roseau », Jean De La Fontaine nous conte que le souple roseau résiste à la tempête en ployant, quand le chêne orgueilleux s’abat déraciné, après avoir vainement tenté de s’opposer. La corde à nœuds peut donc rappeler aux Maçons, que l’adaptabilité, la souplesse, l’humilité et la tolérance sont des qualités essentielles. La corde de l’arc, elle, a une force invisible, elle tire sa puissance et son élan de la tension, de la précision et de la délicatesse de son archer, non pas d’une énergie brutale et massive. La force non violente du Maçon serait-elle dans la délicatesse ?

La corde verticale, peut être vue comme une ascension, un moyen de s’élever vers le ciel, une voie de progression. En escalade elle est le moyen de grimper vers le sommet. Elle aide à gravir les échelons vers l’idéal. Ascension qui dépend en alpinisme, de l’effort, de la persévérance individuelle mais aussi de la coordination et de l’harmonie du groupe.

La corde unit des milliers de fils ensemble, chacun de ces fils étant unique. Or, c’est l’assemblage de tous ces fils différents qui crée une unité et une résistance.

Je fais un parallèle entre la corde à nœuds et le processus qui mène à l’autonomie décrite par la psychologue Nola-Katherine Symor. Lorsqu’un être humain grandit puis à chaque fois qu’il est intégré à un nouveau groupe, à une nouvelle équipe ou à une nouvelle communauté, il passe d’après elle par quatre stades.

  • Le premier stade est celui de la dépendance puisque nous ne maîtrisons pas les codes du groupe, ne savons pas où trouver les ressources, ne sommes pas capables de faire sans l’aide et le soutien des autres.
  • Le deuxième stade est celui de la contre-dépendance, lorsque commence à émerger l’esprit critique et que l’individu se positionne contre. Il rebelle et désapprouve sans être de force de proposition.
  • Le troisième stade est celui de l’indépendance, le moment où l’individu veut faire seul, il définit ses propres règles et comprend les choses par lui-même. La personne est pleinement consciente, elle est responsable de ses choix et de ses actes.
  • Enfin la dernière étape, est celle de l’interdépendance, la personne sait faire par elle-même, mais elle se rend compte qu’elle s’enrichit du groupe, qu’elle a besoin des autres pour être meilleure, pour faire mieux. Elle revient donc en lien avec les autres. C’est l’étape du nous. La personne combine ses talents à ceux des autres, elle se développe dans son interaction à l’autre. C’est le plus haut stade de maturité relationnelle et affective.

Le nœud peut alors être vu comme une attache positive aux autres, un attachement sain et bienveillant. C’est le nœud de la sagesse de Salomon dont l’amour est la clé de l’énigme, l’amour de la « vraie » mère pour son bébé, l’amour inconditionnel, l’amour capable de se sacrifier pour l’autre. Ces deux anneaux entrelacés se retrouvent dans les 3 religions du Livre. Le lac d’amour unit lui les Francs-Maçons. La corde à nœuds serait dès lors une chaîne de Frères et de Sœurs responsables, conscients, aimants, autonomes et interdépendants, tentant ensemble de construire un monde meilleur.

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